dimanche 4 mai 2008

Réadaptation, semaine 1

Où commencer ? Par le commencement ? Bonne idée.

J’ai eu mon premier rendez-vous de RFI (réadaptation fonctionnelle intensive) lundi matin, à neuf heures, au centre de réadaptation Le Bouclier. C’est à Saint-Jérôme, à moins de vingt minutes de chez moi. Je travaillerai avec Mme H. et Mme G., au centre de réadaptation en déficience physique Le Bouclier. Mme H. est audiologiste et Mme G. est éducatrice spécialisée. J’ai eu trois rendez-vous cette semaine, et ce sera encore comme ça pour les sept prochaines semaines. Le premier rendez-vous s’est principalement passé à discuter de ma vision des résultats jusqu’ici. En bref :

• je vis un peu moins dans une manufacture de chaudrons – quoique, le dimanche 27, je vivais un peu sous l’eau, mais moins aujourd’hui, lundi 28 ; ça m’inquiétait un peu, je me demande si ce n’étais pas dû au fait que l’assèchement du processeur ne se faisait pas correctement – il faudra que j’en parle.

• en fin de semaine, j’ai eu beaucoup moins de difficulté qu’avant dans les magasins ; aussi, nous sommes allés dîner dimanche chez Jean-François, Rachel et Élisabeth y étaient, donc cinq personnes, dans le logement de Jean-François sur le boulevard Rosemont ; j’ai pu suivre les conversations presque intégralement ;

• il y a presque en permanence un assez important dédoublement des voix, y compris la mienne ; (j’ai fait des recherches sur le phénomène, qui relève moins de la diplacousie que de l’effet d’écho*).

• lundi matin, je suis allée marcher avec mon iPod, en programme musique avec accessoire (par opposition à musique sans accessoire, comme par exemple jouer du piano) ; je me suis limitée à des choses simples, comme une chanteuse et un accompagnement de piano et Mark Knopfler. La chanteuse, je la suivais assez bien mais pas de façon constante, et son accompagnateur jouait sur un épouvantable chaudron. Mark Knopfler, ça dépendait. Certaines chansons très reconnaissables (All That Matters, à ma grande joie), d’autres moins (dans Shangri-La, la première fois, Knopfler avait une voix de femme).

• bizarrement, pour la vie courante, je dois monter ma commande de volume à « et quart ». Le réglage « normal » du petit point blanc indiquant le niveau de volume est censé être « heure juste » ; monter à « et quart » indique probablement un changement d’adaptation. Chez Jean-François, je suis allée à « et vingt ».

• la voix de Roger ressemble parfois, mais pas toujours, à celle de Toranaga dans Shogun.

• j’ai fait peu d’essais au téléphone ; n’empêche, j’ai eu une expérience amusante. J’ai pris le récepteur pour trouver la position d’écoute la plus appropriée, ce qui m’a pris un bon moment. J’étais en train de décrire à Roger ce que je percevais du son de la tonalité quand le système a trouvé que je prenais trop de temps avant de composer ; une voix m’a donc dit, péremptoirement : « veuillez raccrocher ». Je suis restée un moment ébahie et j’ai dit à Roger, elle m’a dit de raccrocher ! C’est qu’il y a belle lurette que je ne comprends pas ce type de message mais que je les devine à peu près.

Le mardi, Mme H. a entrepris une évaluation à partir des tests couramment menés au centre. J’ai trouvé ces premiers tests plutôt faciles : le premier test se composait de phrases dont la structure était identique (sujet verbe complément adjectif qualifiant le complément) et dont les éléments étaient interchangeables ; de plus, ces éléments étaient plutôt faciles à reconnaître. Entre « le garçon » et « le père », du point de vue auditif, il y a fort peu de ressemblance et il serait plutôt difficile de se tromper entre deux phrases comme : « le père donne un raisin bleu » et « le garçon demande un pois jaune ». Il y avait également une liste de mots, ce qui est toujours un peu plus difficile, mais il s’agissait souvent de mots assez longs, ce qui est plus facile. Je crois comprendre qu’il s’agit là de tests normalisés, qui doivent être passés par toutes les personnes qui travaillent en réadaptation, pour faciliter une évaluation générale.

Mme H. m’a donné des devoirs à faire : il s’agissait d’une liste de phrases et d’une liste de mots que Roger devrait me faire entendre et que je devais comprendre sans lecture labiale.

J’entendais déjà Roger se frotter mentalement les mains. Et de fait, il s’est montré un examinateur compétent mais dur. Il a évité de soigner son articulation outre mesure, il a parfois essayé de me prendre au piège en modifiant légèrement les phrases de façon à les rendre moins prévisibles. Quand il a dit « Ma tante a essayé sa nouvelle moustache » au lieu de « Ma tante a essayé sa nouvelle automobile », j’ai répété, éberluée, « Ce que je comprends, c’est ma tante a essayé sa nouvelle moustache… mais ça n’a aucun sens ! » Et pour la liste de mots, à certains moments, il s’est mis à accélérer la cadence, en lisant les mots presque en rafale.

Les choses vont quand même assez bien : sur 168 mots, je lui en ai fait répéter une vingtaine (évaluer ? non, évoluer) et j’en ai échappé moins d’une dizaine. Les résultats étaient assez similaires pour le test des phrases.

Jeudi et vendredi, j’ai mené mes propres tests pour la musique. J’ai écouté de la musique avec mon iPod. Les résultats ont été assez semblables à ceux de lundi, à savoir la voix solo parfois reconnaissable parfois non, et le fond sonore plutôt chaudron. Vendredi, j’ai décidé de jouer du piano en appliquant des principes de réadaptation de mon cru. Je me suis dit que jouer une pièce que je connais très bien, à plusieurs reprises, aurait pour effet d’enseigner à mon cerveau à reconnaître ses sons dans leur logique, des sons connus dans un contexte connu. J’ai placé mon processeur en position musique et j’ai joué quatre fois de suite le premier mouvement du Concerto italien de Bach, qui est pour moi une pièce fétiche. Essentiellement, j’avais l’impression d’entendre tous les sons connus, à leur place connue, sauf quelques-uns (j’y reviendrai) mais bon nombre de ces sons s’accompagnaient encore de bruits de ferblanterie ou de résonances bizarres. C’est vraiment difficile à décrire. J’étais passablement encouragée par le fait que la plupart des sons me semblait à leur place – j’entends par là qu’il me semblait fa la sib dooooooo rééééééééé do quand je savais que je jouais fa la sib dooooooo rééééééééé do.

L’exception était quelques sons à partir du sol 5, c’est-à-dire le sol juste au-dessus de la portée en clé de sol. Ce sol ne semblait sonner comme un la, le la voisin me semblait sonner quelque part entre le si bémol et le si, le si se rapprochait du do, et les choses retombaient à peu près en place au do 6. Mais ce que je trouvais vraiment fascinant, c’était que si je jouais un accord dont la note la plus haute était ce même sol, il me semblait l’entendre correctement. Je suis allée chercher Roger pour en discuter avec lui : combinaison de fréquence ou d’harmoniques et tutti quanti.

Roger a donc entrepris une étude comparative. Il m’a écouté décrire ce qui se passait au sujet de ce sol, a fait quelques essais puis il a joué d’autres notes sans contexte pour ainsi dire. J’ai trouvé les résultats de cette expérience un peu plus décevants : je dis avec assurance que j’entends do 3 et c’est mi bémol 3. Beurk. Nous avons examiné le son de divers accords : des octaves, des quintes, des tierces, dans toutes les régions du clavier. J’ai du chemin à faire. M’est égal : je vais le faire. Après tout, jouer du piano ou écouter de la musique, ce n’est pas précisément un supplice chinois… (Vous pouvez aussi lire un mot de Roger, indirectement à ce sujet, commentaire 2 du message juste précédent.)

Vendredi après-midi, j’ai passé un autre test, cette fois en cabine. Il s’agit d’un test plus spécifiquement conçu pour les implants cochléaires. J’ai trouvé ce test beaucoup plus difficile que ceux de mardi. Je crois que ma performance se situait au niveau de 70 %. Je devrai passer un test similaire (pas identique, bien sûr) à la fin de la réadaptation, ce qui servira à mesurer les progrès accomplis au cours de la période.

De retour à la maison, je me suis aperçue, avec horreur, que j’avais passé le test en cabine avec mon processeur réglé au programme de musique. J’ai envoyé illico un message à Mme H. J’espère qu’elle le recevra à temps avant la prochaine session, lundi matin.

Dans la vie courante, j’ai parfois l’impression que Roger réalise mieux que moi les différences dans notre vie. C’est lui qui se rend compte qu’il parle et que je le comprends. C’est lui qui fait toutes sortes de petits essais, comme de me parler alors qu’il est derrière moi.

As-tu l’impression que ça avance, me demande notamment Jean-François. Je crois que oui, mais une absence se remarque bien moins facilement qu’une présence. Il faut que j’y réfléchisse pour me rendre compte que je ne répète plus « j’ai pas compris » autant qu’avant.

En fin de semaine, j’ai encore des devoirs à faire, que d’ailleurs je n’ai pas faits. Mme H. a remarqué que, parmi les difficultés que je rencontre, il y a tout particulièrement la consonne p en tête d’un mot. Elle nous a donc donné une série de mots qui ont un sens, qu’ils commencent ou non par un p (pelle -- elle). Roger doit me les faire écouter de diverses façons : lequel est lequel, ou encore pareil pas pareil. J’étais un peu surprise parce que je croyais que la réadaptation se faisait davantage de façon générale. Mme H. a expliqué que travailler à un problème précis dès le début a pour effet d’en faciliter la résolution plus vite.

Tantôt j’appliquerai ce principe au sol 5, par répétition, ou encore pareil pas pareil.

À part ça, il y a le printemps qui se pointe. Il pleut ou il fait gris depuis maintenant quatre jours. C’est bien, c’est ce que j’ai toujours appelé les Grandes Pluies du printemps. Au terme des Grandes Pluies, généralement, tout est vert. Déjeuner chez Élisabeth, aujourd’hui ; les arbres sur sa rue ont presque tous des feuilles. Les nôtres sont surtout en bourgeon quoiqu'on voie, ici et là, quelques masses du doux vert printemps. Mine de rien, le mois de mai est arrivé.


* diplacousie : perception anormale d'un son sous forme de deux sons de hauteurs différentes, souvent causée par une lésion cochléaire.

* effet d’écho : phénomène qui consiste à entendre sa propre voix avec un écart de temps (10 ms) et de hauteur, ce qui produit l’effet d’entendre deux personnes parlant à l'unisson.

2 commentaires:

Suzanne a dit…

Très intéressant, je continue de suivre ton évolution avec beaucoup d'intérêt, c'est vrai que cela me dépasse au plus haut point ,mais cela m'épate énormément de voir avec quel ténacité , tu affrontes tes difficultés.

Dominique a dit…

Très intéressant Hélène. Je suit ton évolution. Et moi aussi j'ai des problèmes avec mon echo dans ce temps-ci. Avec le téléphone. :)