dimanche 25 mai 2008

Réadaptation, fin de la première moitié

J’en suis maintenant à la moitié de ma session de réadaptation. Il fait beau, je suis dehors avec mon très cher MacBook Pro, assise juste devant le ruisseau. Les nénuphars sont arrivés. En avant, mon lilas survivant fait son possible. L’autre lilas, plus petit, a vu presque toutes ses branches écrasées sous le poids de la neige. Roger est en train de démolir l’ancien cabanon. Il ne cesse de travailler, c’est bien fatigant.

Ce matin, de la cuisine, j’ai entendu le signal de la laveuse qui venait de finir sa brassée. Je l’ai dit à Roger. Il a souri sans lever les yeux de son journal.

La réadaptation avance bien. Étant donné que j’ai la chance d’avoir ré-acquis le langage extrêmement rapidement, nous sommes maintenant passées aux applications pratiques.

Nous avons consacré une autre session aux appareils téléphoniques, cette fois en travaillant sur les différentes façons de les utiliser.

J’ai fait l’essai du branchement direct, un fil qui se place dans le téléphone et se branche directement dans le processeur, au moyen d’un coude spécial.

Roger fondait beaucoup d’espoir sur cet essai. Il en est effet convaincu que ma compréhension dépend de la qualité du son, or la qualité du son des téléphones amplifiés n’est pas des meilleures. Vous connaissez le son d’un système mains libres.

Déception : le branchement direct semble ne pas me convenir. La qualité du son était bien moins bonne que le son ordinaire entendu dans le récepteur ou même dans le haut-parleur mains libres. Plus de statique, plus de distorsion de la voix. Nous avons fait deux essais en branchement direct, un avec mon téléphone amplifié et un avec le modèle utilisé au Bouclier. Même résultat.

Mme H. dit que parmi les gens avec qui elle travaille, il y a une certaine proportion de gens que le branchement direct n’aide pas beaucoup et qui, comme moi, préfère utiliser leur appareil de la façon ordinaire.

Je me demande s’il est possible que ce soit une question de programme. Je compte demander à l’audiologiste de programmation, M. B., s’il est possible de faire des essais. J’ai rendez-vous avec lui vendredi prochain.

Excusez-moi, j’ai un meurtre à commettre.

(Paf !) Un maringouin de moins.

Ici, les maringouins sont sortis depuis peu, nous en sommes encore à la période où ils sont actifs toute la journée.

Le rendez-vous de programmation que j’ai est surtout destiné à voir si on peut atténuer l’effet d’écho (la double voix) simplement par la programmation. Dans certains cas, c’est possible. Dans d’autres, c’est seulement la patience et le temps qui arrangent les choses. Je me croise les doigts. Je ne suis pas impatiente de façon générale, tant s’en faut (vous me connaissez), mais je me rends compte que je suis, d’une certaine façon, impatiente question audition.

Mon problème, c’est que je ne m’étais pas assez renseignée sur le retour à l’audition avec un implant. En bref : normalement, c’est long. Très long. Par exemple, comprendre le langage prend généralement beaucoup, beaucoup plus de temps que ce que j’ai connu.

J’étais consciente de ma chance en ce qui concerne le langage, après tout mes « scores » aux tests étaient assez éloquents.

De façon contradictoire, c’est justement ce qui m’inquiétait. Il me semblait que mon audition musicale tirait lamentablement de l’arrière par rapport à ma compréhension du langage et je craignais que ce soit dû à des causes essentielles, par exemple mon otosclérose. J’ai bien lu qu’il y a des gens qui ne regagnent jamais tout à fait la capacité d’écouter de la musique.

J’avoue qu’hier, j’ai fait une sévère attaque de bleus. Du bleu foncé.

D’abord, il y a une dizaine de jours, j’ai participé à un atelier d’écriture de chansons. J’avais déjà travaillé avec ce même animateur qui dirige ces ateliers dans des conditions qui étaient auparavant pour moi désastreuses : une ancienne salle de classe, très grande, avec de la réverbération à n’en plus finir.

Les ateliers précédents, j’avais peine à comprendre le tiers de ce qu’il disait. Cette fois-ci, dans les mêmes conditions, j’ai à peu près tout compris.

(Sauf les exemples de musique.)

Marc nous a donné du temps pour écrire pendant l’atelier lui-même. J’ai donc commencé une chanson, que j’ai terminée quelques jours après. Je l’ai transcrite avec mon logiciel d’impression musicale.

C’est avec Band-in-a-Box, le logiciel d’orchestration, que les choses se sont gâtées. À toute fin pratique, je ne suis pas capable d’entendre ce que je compose.

Je fais aussi actuellement l’essai d’un logiciel de synthèse vocale. Bon, d’accord, à 40 €, il n’y a pas de miracles à attendre. N’empêche que je ne discerne pas correctement les sons produits par l’affreuse petite voix. Et ce n’est pas elle qui fait erreur, je l’ai fait valider par Roger.

Excusez-moi. (Paf !)

Ensuite, hier, j’ai joué du piano plus d’une heure, avec le programme de vie courante et aussi avec le programme musique externe (par opposition à musique iPod). J’ai fait des essais avec la commande de volume. Je voulais essayer de rendre le son plus précis, plus net. Comme ce sont les harmoniques en fréquences aiguës qui sont à l’origine de la distorsion très marquée que je perçois, j’ai essayé de jouer à faible volume. Les résultats étaient moins que concluants.

Donc, hier soir, j’avais les bleus. Je suis donc allée voir sur Internet pour trouver d’autres expériences. En début de soirée, j’ai écrit un message dans le forum des utilisateurs de la société qui a fabriqué mon implant (Advanced Bionics).

Pas plus tard que ce matin, j’avais quatre réponses ! Qui toutes disaient la même chose, en gros. La distorsion que je perçois, les désagréables résonances aberrantes, mes quatre correspondantes les avaient vécues. Il faut y mettre le temps et il faut s’exercer, comme pour la réadaptation.

Parmi les conseils pratiques qu’on m’a donnés :
• un surtout que j’avais plus ou moins instinctivement trouvé par moi-même : écouter des choses simples et familières ;
• mais on m’a aussi dit d’écouter de façon régulière, ce que je ne faisais pas, me disant que ça ne me servait rien à rien de me foutre les bleus et que je ferais mieux de laisser le temps faire son œuvre ;
• on m’a aussi conseillé de tenir un journal d’écoute, pour mieux analyser mes essais ;
• deux correspondantes écoutent leur iPod avec leur programme ordinaire et des écouteurs placés près de leur processeur ; je compte bien faire cet essai ;
• aussi, écouter le plus possible avec la musique ou les mots des chansons sous les yeux, pour la rééducation de mon cerveau.

Patience. L’une des correspondantes mentionnait l’expérience d’une audiologiste implantée, qui a dû attendre six mois avant que le son du piano redevienne un son de piano.

Au moins, moi, presque tout de suite après l’activation de mon implant, le piano sonnait à peu près comme un piano. Un piano chaudron, avec quelques notes fausses (le sol 5 sonne encore comme un la 5) et plein de résonances aberrantes… oui, mais un piano. Mon audition musicale n'est donc pas vraiment si « en retard ».

Patience.

vendredi 16 mai 2008

Programmation, semaines 2 et 3

Il y a maintenant un mois que j’ai reçu mon implant et deux semaines que je fais de la réadaptation. La première semaine a surtout été consacrée à de l’évaluation mais, la deuxième semaine, le travail de réadaptation proprement dit a vraiment commencé.

Il n’y a aucun doute que, comme la plupart des gens qui avaient gardé un certain niveau d’audition avant la mise en place de l’implant, mes progrès au début ont été assez rapides. Vendredi dernier, le 9, Mme H. a procédé à un test d’évaluation de la compréhension dans le bruit. Le texte en question se composait de phrases. La première série de phrases comprenait un bruit de fond assez léger ; j’avais l’impression de n’avoir pas très bien réussi mais, à ma grande surprise, j’avais plus de 80 %. « Nous allons faire un autre test » a annoncé Mme H. et nous allons continuer, en augmentant le bruit, jusqu’à temps que vous ayez moins de 30 %. Nous avons donc entamé un deuxième test, avec un bruit de fond plus important. Ce deuxième test s’est avéré passablement plus difficile et j’ai obtenu un minable 39 %. En avant pour le troisième test, avec un ridicule 19 %. MAIS MAIS MAIS : selon Mme H., au stade où j’en suis de la réadaptation, il est bien rare qu’elle fasse même seulement une deuxième série.

Le travail de réadaptation ne permet également de découvrir quels sons me sont le plus difficiles. Nous avons passé par exemple une bonne dizaine de minutes sur la paire de mots « caverne-caserne ». Quand Mme H. prononçait un seul de ces deux mots, je n’arrivais tout simplement pas à reconnaître de quel mot il s’agissait. Elle avait beau insister sur le V ou le S (« cavvvvvvverne »), je n’y arrivais pas. À quelques reprises, j’ai dit « je peux vous donner une réponse mais ce serait purement une question de chance ». Nous avons essayé ensuite de les prononcer deux par deux, ce qui était un peu plus facile. J’ai aussi de la difficulté avec les mots qui commencent par P, où très souvent je n’entends pas du tout ce P. J’ai des exercices à faire, que Roger me fait faire avec beaucoup de sérieux.

Mardi (le 14), nous avons fait des expériences avec divers appareils téléphoniques.

En effet, samedi dernier, j’ai voulu faire une expérience et j’ai tenté de commander de la pizza. Pensant améliorer mes chances, j’avais augmenté le volume du processeur ainsi que celui du téléphone à leur maximum respectif. Ça n’a pas du tout fonctionné ; heureusement, je m’étais assise à côté de Roger pour faire l’essai si bien que je lui ai tendu le téléphone et qu’il a terminé la commande. Il a tout de suite baissé le niveau de volume du téléphone et la téléphoniste de la pizzeria a elle-même dit « ah ! maintenant je vous entends ».

Mardi, Mme H. et Mme G. m’ont toutes les deux expliqué qu’il s’agissait là, contrairement à ce que je pensais, d’un essai très difficile. Dans ce genre d’appel, la téléphoniste est pressée, parfois même stressée, parle elle-même très vite et dans le bruit... Autrement dit, ce n’est pas idéal.

Donc, mardi, nous avons fait un essai avec un appareil téléphonique du type que la RAMQ fournit aux personnes ayant reçu un implant. Ce téléphone comporte entre autres un système mains libres. L’essai a été beaucoup plus intéressant et concluant. J’ai pu avoir une conversation à peu près normale avec Mme G., qui m’a expliqué ce qu’elle avait mangé pour déjeuner ce matin-là et aussi pour souper la veille (cette personne a une alimentation fort saine !) et j’ai à peu près tout compris. Nous avons également fait l’essai du système mains libres et j’ai trouvé que c’était encore mieux. Avec le récepteur, je dois toujours faire bien attention à le garder dans la position la plus appropriée pour le microphone du processeur. Le problème ne se pose pas avec le système mains libres, et l’audition est donc plus facile. Le téléphone que j’ai chez moi, qui m’est fourni par la RAMQ, n’a pas de système mains libres. Selon Mme H., il est possible, en cas de changement à la condition auditive, de modifier les équipements fournis par la RAMQ. Il serait donc possible, peut-être, de me faire obtenir un téléphone comme celui du centre, avec un système mains libres.

Les prochains essais se feront probablement avec le micro qu’on branche directement sur l’appareil téléphonique, ce qui, théoriquement devrait fournir une audition encore bien supérieure puisque le signal serait transmis directement à l’appareil. Roger penche beaucoup pour ce genre de système ; pour ma part, j’hésitais à entreprendre le processus de changement de coude au moment de prendre un appel. Tout le monde connaît ma très grande dextérité : enlever le coude courant, le remplacer par le coude pour le téléphone... autant d’occasions de tout faire tomber par terre. Mme G. m’a fait remarquer que je n’avais qu’à répondre en disant « un moment, je change d’appareil », comme bien des gens font très souvent. J’ai trouvé que c’était une très bonne idée dont je pouvais m’accommoder plus facilement. N’empêche que je crois que par-dessus tout, je préférerais le système mains libres.

Une autre remarque intéressante de Mme G. : je parle trop vite au téléphone. J’y suis allée de ma réponse standard : oui, mais je sais ce que je dis, je n’ai pas besoin de parler plus lentement pour me comprendre. Ha ha ho ho. Elle m’a expliqué que beaucoup de gens ajustent instinctivement leur propre débit à celui de la personne qui parle ; si je parle vite, il y a plus de chances qu’on me parle vite. Bon à savoir.

Je devais avoir un rendez-vous aujourd’hui, vendredi. Avec Mme H., nous nous sommes cependant entendus pour avoir un congé aujourd’hui. Nous en avons profité pour nous rendre à Petite-Rivière-Saint-François, où nous pouvons discuter de téléphones et des diverses options possibles avec Roger L., dont c’est l’une des spécialités.

C’est un congé qui ne sera pas de trop. Je découvre que j’ai maintenant des allergies, au printemps : j’ai le nez qui coule, je tousse beaucoup... Je commence à m’imaginer ce que ressentait Jean-François, dont les allergies étaient si pénibles qu’il pouvait parfois être plusieurs jours malade au point de ne pas pouvoir travailler. Il fait soleil aujourd’hui et je reste bien sagement (et bien platement) à l’intérieur. Et je mets mon blogue à jour.

dimanche 11 mai 2008

Notes sur les sons

M. B., l'audiologiste de programmation chargé de mon dossier pendant la réadaptation, a été informé de la présente persistante de la double voix dans mon audition. Il m'a demandé de lui donner des détails. J'ai pensé que le message que je lui envoyais devrait aussi faire partie de ce blogue, comme témoignage de la vie avec un implant.

VOIX

Pour ce qui est de ma propre voix, j’ai l’impression d’entendre deux voix, une « intérieure » (secondaire) et une « extérieure » (principale). Les deux voix parlent exactement en même temps mais la voix « secondaire » est plus basse (à la fois plus grave et moins forte) que l’autre et elle a moins d’inflexions, elle est plus monocorde.

Pour ce qui est des voix des personnes à qui je parle, ça varie.

Je viens de faire parler mon mari dans son propre bureau (très grand, surfaces dures) et dans notre chambre (plus petite, rideaux, édredon). La voix secondaire était assez présente dans le bureau, encore une fois plus basse. Je n’avais pas autant l’impression d’une voix « intérieure », plutôt simplement l’impression d’une « autre voix », moins importante que la voix « principale ». Cette voix secondaire était beaucoup plus atténuée dans la chambre, mais pas disparue. Par ailleurs, il y a des jours ou des moments du jour où la voix de mon mari est extrêmement altérée, elle devient beaucoup plus basse, plus rauque.

(Il faut noter que la voix de mon mari est mon principal point de référence. Nous n’avons pas d’enfant à la maison, je n’ai pas de travail extérieur.)

Une dame vient de nous rendre visite. Le phénomène de double voix était aussi très présent.

La voix secondaire est toujours plus basse (comme j’ai écrit plus haut, à la fois plus grave et moins forte) que la voix principale.

Quelques autres notes.

Il y a présence de voix secondaire dans tous les programmes du processeur.

Si je réduis le volume, les deux voix sont réduites, et conservent à peu près leurs proportions l’une par rapport à l’autre.

Si je bouche de mon doigt mon oreille droite, mon oreille gauche ou les deux oreilles, le phénomène ne change pas.

La voix secondaire « mange ses mots », c.-à-d. qu’elle n’est pas toujours une parfaite duplication de la voix principale.

J’ai noté le phénomène dès les premiers jours où j’ai eu le processeur. Le 16 avril (soit dès deux jours après), il s’est produit un petit fait qui m’en a fait prendre plus précisément conscience mais je crois que c’était présent même avant. Le phénomène est stable depuis ce temps, il ne va pas en s’atténuant.

Écouter la radio d’auto, un annonceur qui parle : passablement de sifflantes et de chuintements, pas de dédoublement.

--

Note : j’essaie de ne pas trop « jouer » avec la commande de volume, parce que je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Les « bien-entendants », si on peut dire, n’ont pas de commande de volume.

BRUITS

Beaucoup plus difficile à analyser. J’avais tellement perdu de composantes des bruits que je ne suis pas certaine de la justesse de mon analyse. Certains bruits sont nets (faire toc-toc sur une surface de bois, marcher sur le plancher de bois) et uniques, sans dédoublement. Beaucoup de bruits sont beaucoup plus métalliques qu’avant ou encore résonnent davantage, ce qui me semble normal compte tenu de la « résurrection » des hautes fréquences et serait (?) donc sans rapport avec le phénomène.

Il se passe un phénomène extrêmement bizarre avec le bruit de la voiture. Il se compose de trois composantes, comme des strates. La strate vrombissement, le brrrrrrroum du moteur est très peu présente. La strate la plus présente est un bruit d’eau courante, comme le bruit de l’eau dans une rivière. Parfois, l’eau est moins calme, le bruit plus agité, comme de l’eau qui bouillonne. Finalement, la strate du haut est un son stable, plus aigu, ressemblant au bruit de la bise de tempête dans les films. Pourtant, les autres bruits associés au fait de rouler en voiture -- une roue dans un nid-de-poule, le passage sur une travée métallique sur une autoroute -- sont à peu près conformes à ce que j’entendais avec mes prothèses.

J’entends davantage le bruit métallique des touches quand je tape sur mon ordinateur. Pas de dédoublement.

Ouvrir et fermer la porte du frigo, de la dépense : pas mal comme avant. Pas de dédoublement.

La cloche de la porte : pas mal comme avant. Pas de dédoublement.

Les froissements de tissus : plus présents qu’avant mais assez semblables. Pas de dédoublement.

Les bruits d’un repas : fourchette dans l’assiette, verre reposé sur la table, café coulant dans la cafetière, chaudron placé dans l’armoire ou sur le poêle : plus présents qu’avant mais assez semblables. Pas de dédoublement.

--

En finale : décrire des impressions auditives n’est pas exactement un jeu d’enfant, à côté de décrire des impressions visuelles ou tactiles.

dimanche 4 mai 2008

Réadaptation, semaine 1

Où commencer ? Par le commencement ? Bonne idée.

J’ai eu mon premier rendez-vous de RFI (réadaptation fonctionnelle intensive) lundi matin, à neuf heures, au centre de réadaptation Le Bouclier. C’est à Saint-Jérôme, à moins de vingt minutes de chez moi. Je travaillerai avec Mme H. et Mme G., au centre de réadaptation en déficience physique Le Bouclier. Mme H. est audiologiste et Mme G. est éducatrice spécialisée. J’ai eu trois rendez-vous cette semaine, et ce sera encore comme ça pour les sept prochaines semaines. Le premier rendez-vous s’est principalement passé à discuter de ma vision des résultats jusqu’ici. En bref :

• je vis un peu moins dans une manufacture de chaudrons – quoique, le dimanche 27, je vivais un peu sous l’eau, mais moins aujourd’hui, lundi 28 ; ça m’inquiétait un peu, je me demande si ce n’étais pas dû au fait que l’assèchement du processeur ne se faisait pas correctement – il faudra que j’en parle.

• en fin de semaine, j’ai eu beaucoup moins de difficulté qu’avant dans les magasins ; aussi, nous sommes allés dîner dimanche chez Jean-François, Rachel et Élisabeth y étaient, donc cinq personnes, dans le logement de Jean-François sur le boulevard Rosemont ; j’ai pu suivre les conversations presque intégralement ;

• il y a presque en permanence un assez important dédoublement des voix, y compris la mienne ; (j’ai fait des recherches sur le phénomène, qui relève moins de la diplacousie que de l’effet d’écho*).

• lundi matin, je suis allée marcher avec mon iPod, en programme musique avec accessoire (par opposition à musique sans accessoire, comme par exemple jouer du piano) ; je me suis limitée à des choses simples, comme une chanteuse et un accompagnement de piano et Mark Knopfler. La chanteuse, je la suivais assez bien mais pas de façon constante, et son accompagnateur jouait sur un épouvantable chaudron. Mark Knopfler, ça dépendait. Certaines chansons très reconnaissables (All That Matters, à ma grande joie), d’autres moins (dans Shangri-La, la première fois, Knopfler avait une voix de femme).

• bizarrement, pour la vie courante, je dois monter ma commande de volume à « et quart ». Le réglage « normal » du petit point blanc indiquant le niveau de volume est censé être « heure juste » ; monter à « et quart » indique probablement un changement d’adaptation. Chez Jean-François, je suis allée à « et vingt ».

• la voix de Roger ressemble parfois, mais pas toujours, à celle de Toranaga dans Shogun.

• j’ai fait peu d’essais au téléphone ; n’empêche, j’ai eu une expérience amusante. J’ai pris le récepteur pour trouver la position d’écoute la plus appropriée, ce qui m’a pris un bon moment. J’étais en train de décrire à Roger ce que je percevais du son de la tonalité quand le système a trouvé que je prenais trop de temps avant de composer ; une voix m’a donc dit, péremptoirement : « veuillez raccrocher ». Je suis restée un moment ébahie et j’ai dit à Roger, elle m’a dit de raccrocher ! C’est qu’il y a belle lurette que je ne comprends pas ce type de message mais que je les devine à peu près.

Le mardi, Mme H. a entrepris une évaluation à partir des tests couramment menés au centre. J’ai trouvé ces premiers tests plutôt faciles : le premier test se composait de phrases dont la structure était identique (sujet verbe complément adjectif qualifiant le complément) et dont les éléments étaient interchangeables ; de plus, ces éléments étaient plutôt faciles à reconnaître. Entre « le garçon » et « le père », du point de vue auditif, il y a fort peu de ressemblance et il serait plutôt difficile de se tromper entre deux phrases comme : « le père donne un raisin bleu » et « le garçon demande un pois jaune ». Il y avait également une liste de mots, ce qui est toujours un peu plus difficile, mais il s’agissait souvent de mots assez longs, ce qui est plus facile. Je crois comprendre qu’il s’agit là de tests normalisés, qui doivent être passés par toutes les personnes qui travaillent en réadaptation, pour faciliter une évaluation générale.

Mme H. m’a donné des devoirs à faire : il s’agissait d’une liste de phrases et d’une liste de mots que Roger devrait me faire entendre et que je devais comprendre sans lecture labiale.

J’entendais déjà Roger se frotter mentalement les mains. Et de fait, il s’est montré un examinateur compétent mais dur. Il a évité de soigner son articulation outre mesure, il a parfois essayé de me prendre au piège en modifiant légèrement les phrases de façon à les rendre moins prévisibles. Quand il a dit « Ma tante a essayé sa nouvelle moustache » au lieu de « Ma tante a essayé sa nouvelle automobile », j’ai répété, éberluée, « Ce que je comprends, c’est ma tante a essayé sa nouvelle moustache… mais ça n’a aucun sens ! » Et pour la liste de mots, à certains moments, il s’est mis à accélérer la cadence, en lisant les mots presque en rafale.

Les choses vont quand même assez bien : sur 168 mots, je lui en ai fait répéter une vingtaine (évaluer ? non, évoluer) et j’en ai échappé moins d’une dizaine. Les résultats étaient assez similaires pour le test des phrases.

Jeudi et vendredi, j’ai mené mes propres tests pour la musique. J’ai écouté de la musique avec mon iPod. Les résultats ont été assez semblables à ceux de lundi, à savoir la voix solo parfois reconnaissable parfois non, et le fond sonore plutôt chaudron. Vendredi, j’ai décidé de jouer du piano en appliquant des principes de réadaptation de mon cru. Je me suis dit que jouer une pièce que je connais très bien, à plusieurs reprises, aurait pour effet d’enseigner à mon cerveau à reconnaître ses sons dans leur logique, des sons connus dans un contexte connu. J’ai placé mon processeur en position musique et j’ai joué quatre fois de suite le premier mouvement du Concerto italien de Bach, qui est pour moi une pièce fétiche. Essentiellement, j’avais l’impression d’entendre tous les sons connus, à leur place connue, sauf quelques-uns (j’y reviendrai) mais bon nombre de ces sons s’accompagnaient encore de bruits de ferblanterie ou de résonances bizarres. C’est vraiment difficile à décrire. J’étais passablement encouragée par le fait que la plupart des sons me semblait à leur place – j’entends par là qu’il me semblait fa la sib dooooooo rééééééééé do quand je savais que je jouais fa la sib dooooooo rééééééééé do.

L’exception était quelques sons à partir du sol 5, c’est-à-dire le sol juste au-dessus de la portée en clé de sol. Ce sol ne semblait sonner comme un la, le la voisin me semblait sonner quelque part entre le si bémol et le si, le si se rapprochait du do, et les choses retombaient à peu près en place au do 6. Mais ce que je trouvais vraiment fascinant, c’était que si je jouais un accord dont la note la plus haute était ce même sol, il me semblait l’entendre correctement. Je suis allée chercher Roger pour en discuter avec lui : combinaison de fréquence ou d’harmoniques et tutti quanti.

Roger a donc entrepris une étude comparative. Il m’a écouté décrire ce qui se passait au sujet de ce sol, a fait quelques essais puis il a joué d’autres notes sans contexte pour ainsi dire. J’ai trouvé les résultats de cette expérience un peu plus décevants : je dis avec assurance que j’entends do 3 et c’est mi bémol 3. Beurk. Nous avons examiné le son de divers accords : des octaves, des quintes, des tierces, dans toutes les régions du clavier. J’ai du chemin à faire. M’est égal : je vais le faire. Après tout, jouer du piano ou écouter de la musique, ce n’est pas précisément un supplice chinois… (Vous pouvez aussi lire un mot de Roger, indirectement à ce sujet, commentaire 2 du message juste précédent.)

Vendredi après-midi, j’ai passé un autre test, cette fois en cabine. Il s’agit d’un test plus spécifiquement conçu pour les implants cochléaires. J’ai trouvé ce test beaucoup plus difficile que ceux de mardi. Je crois que ma performance se situait au niveau de 70 %. Je devrai passer un test similaire (pas identique, bien sûr) à la fin de la réadaptation, ce qui servira à mesurer les progrès accomplis au cours de la période.

De retour à la maison, je me suis aperçue, avec horreur, que j’avais passé le test en cabine avec mon processeur réglé au programme de musique. J’ai envoyé illico un message à Mme H. J’espère qu’elle le recevra à temps avant la prochaine session, lundi matin.

Dans la vie courante, j’ai parfois l’impression que Roger réalise mieux que moi les différences dans notre vie. C’est lui qui se rend compte qu’il parle et que je le comprends. C’est lui qui fait toutes sortes de petits essais, comme de me parler alors qu’il est derrière moi.

As-tu l’impression que ça avance, me demande notamment Jean-François. Je crois que oui, mais une absence se remarque bien moins facilement qu’une présence. Il faut que j’y réfléchisse pour me rendre compte que je ne répète plus « j’ai pas compris » autant qu’avant.

En fin de semaine, j’ai encore des devoirs à faire, que d’ailleurs je n’ai pas faits. Mme H. a remarqué que, parmi les difficultés que je rencontre, il y a tout particulièrement la consonne p en tête d’un mot. Elle nous a donc donné une série de mots qui ont un sens, qu’ils commencent ou non par un p (pelle -- elle). Roger doit me les faire écouter de diverses façons : lequel est lequel, ou encore pareil pas pareil. J’étais un peu surprise parce que je croyais que la réadaptation se faisait davantage de façon générale. Mme H. a expliqué que travailler à un problème précis dès le début a pour effet d’en faciliter la résolution plus vite.

Tantôt j’appliquerai ce principe au sol 5, par répétition, ou encore pareil pas pareil.

À part ça, il y a le printemps qui se pointe. Il pleut ou il fait gris depuis maintenant quatre jours. C’est bien, c’est ce que j’ai toujours appelé les Grandes Pluies du printemps. Au terme des Grandes Pluies, généralement, tout est vert. Déjeuner chez Élisabeth, aujourd’hui ; les arbres sur sa rue ont presque tous des feuilles. Les nôtres sont surtout en bourgeon quoiqu'on voie, ici et là, quelques masses du doux vert printemps. Mine de rien, le mois de mai est arrivé.


* diplacousie : perception anormale d'un son sous forme de deux sons de hauteurs différentes, souvent causée par une lésion cochléaire.

* effet d’écho : phénomène qui consiste à entendre sa propre voix avec un écart de temps (10 ms) et de hauteur, ce qui produit l’effet d’entendre deux personnes parlant à l'unisson.